A propos de « l’Holaf »
(in Quelques méditations sur deux œuvres de Dominique Robin)
L’œuvre se présente tout d’abord à nous sous la forme d’un épais livre retenu dans un écrin rouge, la face de présentation portant vers nous ce titre qui la spécifie et la désigne, ce resserrement de l’expression « l’homme à la fleur », en « Holaf ». Ce livre est un feuilletage de 600 images composites, imprimées sur les deux faces du papier, qui peut faire un grand déplié de plus de cinquante mètres. L’objet est ainsi conçu selon une dynamique de déploiement qui le dispose autant à la consultation intime qu’à la scénographie. C’est à la fois un livre unique de miniatures qu’on tiendra ouvert à la table, au bénéfice d’un rapprochement exclusif, pour son regard ; c’est aussi le bandeau, le grand registre historié ouvert au collectif, au déchiffrement par la communauté qui vient rendre visite, pour voir. Ce double emploi doit être souligné car il nous met en présence d’une question qui semble intéresser particulièrement l’artiste, c’est à dire comment une image peut être à fois singulière et commune, approchante au sujet personnel et au sujet collectif… En l’occurrence, il s’agit de faire voir, sous la forme du livre ou du registre tenu à la bonne hauteur du regard, une puissance de figures et de formes qui fait apparaître et disparaître une sorte de figure mythique de l’homme, en quête de la fleur ou plutôt d’une image insaisissable de lui-même : la fleur étant l’emblème récurrent de ce cheminement.
Nous touchons là au cœur de l’intention.
Cette graphie nous met en présence d’écritures automatiques et de figures plus contrôlées, mais aussi de montages d’images, d’hybridations et de superpositions de fragments. Brefs, les traces sont multiples, autant dans les techniques convoquées que dans les conditions de formalisation, puisqu’on va du trait courant librement sur le papier, à la reprise et à la combinaison de l’imagerie des traités alchimiques et anatomiques, en passant par l’inscription de photogrammes et de photomontages diversement prélevés.
Le dessin est alors envisagé comme puissance de trait ouvert à une polyvalence de potentialités : symboliques et techniques. Bien plus que comme un moyen d’enfermer la figure, le dessin est plutôt considéré comme une dynamique du trait changeant, articulée à la matrice de formes qu’est l’imaginaire et utilisatrice d’une pluralité de moyens ( du crayon simple à l’inscription numérique ) actuellement conférés à l’exercice de la main, qui tour à tour, maîtrise et relâche, inscrit par tracé direct ou par prélèvement.
Dans cet « ouvert », le composite et le fragmentaire sont nécessairement opératifs, parce qu’ils sont appropriés à la stimulation d’un imaginaire désinhibé de la structure narrative linéaire, scolairement confirmée : toute histoire doit passer par un schéma culturel de lisibilité, transmissible, entre ce qui sert à faire mémoire de l’avant pour le conduire vers l’après. Mais nous savons bien que la scansion du temps et l’importance donné au présent, entre ce qui compte du passé et ce qu’il faut attendre de l’ « à venir », diffère selon les époques et les civilisations. Ce qui m’autorise à redire que le présent que toute civilisation cherche à imposer et à éterniser n’est que la conjugaison d’un intervalle relatif qu’on appellera le moment.
Ce n’est donc pas une histoire que l’artiste cherche à rendre, protocolairement, visible, avec une logique temporelle d’origine, de processus événementiel et de terme annoncé. Cependant, par son propos et via sa direction de déroulement ( car il y a bien dans cette boucle d’images, un début et une fin ), l’artiste touche au soubassement de toute transmission et de toute histoire de l’humain, ce que nous appelons généralement le mythe. « L’Holaf », « l’homme à la fleur » nous reconduit vers ces grands contes originaires nés avec la puissance de discernement et de nomination, autrement dit avec la conscience et le langage. Ces mythes, venus de la nuit anthropologique ou l’homme « aura appris » à se supporter comme distingué de ce qui l’environne, nous portent tous la mémoire d’une quête d’images ou l’humain s’adresse à ce qui le sépare, l’exile, « l’étrange ». Ceux-là nous posent encore la même énigme anthropologique, pour l’heure non résolue : qu’est-ce que l’homme ?
A la grande question, tous les grands récits originaires nous répondent par une autre qui touche à la puissance intrinsèquement humaine de se représenter par le jeu des signes. Autrement dit quelles figures sont en capacité d’être retenues dans la mise au point des langues, pour faire passer entre les générations une imagerie appropriée à cette quête d’une représentation de l’homme par lui-même, mais en passant immanquablement par des invisibilités ( Divinités, anges et démons ) ? Les grands axes de la culture ( tout d’abord le religieux et le poétique puis le philosophique et l’artistique ) découlent de ce croisement figurant entre le « qu’est-ce que ? » et le « comment ? ».
L’homme n’est qu’une image de la Transformation.
Voilà, ce me semble, ce que le beau travail graphique de « l’homme à la fleur » ou « L’Holaf » vient nous « refaire voir », en reprenant à la force représentante des mythes la métaphore du « cheminement en quête de… » Nous pensons par exemple au récit de l’épopée de Gilgamesh, cet héros mythique sumérien en quête de la fleur d’immortalité. La quête, le chemin, sont farcis de péripéties symboliques ou l’homme affronte la modification de la conscience de son destin, nous pourrions tout bonnement dire la mort, rendue inexorablement « envisageable ».
Le dispositif de « L’Holaf » nous montre dès lors l’homme comme un personnage de passage entre les figures , une traversée d’images apparaissantes puis disparaissantes. Au gré de l’instabilité mouvante du trait et par l’intermédiaire de techniques variées, le dessin nous est donné devant nous, comme une force d’empreintes et d’inscriptions, volatile et volubile ( à l’instar de tout langage ), qui vient nous rappeler que l’homme est contraint d’accompagner , avec la prévenance éthique de ne pas vouloir le saisir ou l’enclore, le « Grand Ouvert » de la question originaire : « Toi, l’Homme, qui es-tu ? ».
JR Loth, mai 2006