15 avril 2007
SHI XIANG / ORANGERIE DE SUCY
Miroiter la peau*...
En entrant dans l’Orangerie, l'effet est saisissant : treize immenses visages de face nous regardent directement dans les yeux. L’exposition de Shi Xiang ne peut pas laisser indifférent. La facture des peintures - tendance hyperréaliste -, leur taille, leur disposition systématique s’imposent d’emblée. Même lorsqu’ils sont doux, posés, ces treize regards immobiles peuvent finir par indisposer, tant ils semblent nous poursuivre quels que soient nos déplacements dans l’espace d’exposition. Les portraits de la jeune peintre chinoise opèrent un renversement du regard au profit des œuvres. Nous avons l’impression d’être scrutés par ces portraits qui nous éblouissent par leur présence déroutante au point peut-être de nous empêcher de voir, en focalisant notre regard, en nous paralysant même. Pourtant, si nous acceptons, peu à peu, le dialogue proposé par la peinture, si nous devenons à notre tour des regardeurs attentifs, notre vision ne plonge plus seulement au plus profond des pupilles mais glisse aussi sur la surface picturale qui semble étirer la surface des corps représentés sur la toile. On comprend alors la nécessité que la peintre a eu de travailler sur des grandes formats. Il s’agit de nous donner à voir une part de l’invisible qui paradoxalement affleure à la surface des choses, là même ou notre regard s’arrête sans cesse : la peau dans ses tonalités, ses modelés, ses reflets, ses accidents, ses craquellements, ses effets de matière qui, comme une « étoffe vacillante », nous donne à voir la beauté de la vie qu’elle contient. Ce sont là les mots même de l’artiste : « peindre pour faire ressortir la beauté de la vie, la beauté de la peau. » Cette attention portée à la surface des choses - l’essentiel ici est visible à l’œil nu - est le facteur d’une vitalité sans cesse actualisée dans l’acte pictural. C’est cette même vitalité qui habite la nouvelle génération des artistes issus de la Chine qu’ils soient peintres ou cinéastes (Wang Du, Yang Pei Ming, Tsai Ming-liang… Traversés par les expériences culturelles récentes de la Chine - réalisme socialiste, découverte de l’art contemporain occidental, entrée dans le marché de l’art international…- ils habitent notre propre tradition artistique avec la légèreté d’artistes venus d’un nouveau monde.
Dominique Robin
* «Que j'aime voir, chère indolente, De ton corps si beau, Comme une étoffe vacillante, Miroiter la peau »
Charles Baudelaire